dimanche 17 septembre 2017

Comment “Odebrecht” affecte les Haïtiens en République dominicaine ?

Par Michelle Mevs

La corruption “Odebrecht”, avec ses répercussions sur le pouvoir et la société dominicaine, affecte non seulement la République dominicaine, mais également Haïti et les Haïtiens qui vivent là-bas.

L’opinion publique de ce pays se déchaîne contre le train de corruption Odebrecht et la presse prend le relais. Les secteurs d’opposition au pouvoir établi s’organisent en marche anticorruption. Là dans la rue, la Marcha verde réclame des comptes au gouvernement dominicain et exige la moralisation du pays. Le 16 juillet 2017 a lieu à Santo Domingo une magistrale marche où plus de 10,000 manifestants de vert vêtus ont crié leurs exaspérations, pancarte en main. Les masses occupent les rues de Santo Domingo, de New York et de Miami, pour exprimer leur mécontentement. C’est du jamais vu, et c’est cela la Marcha verde, un mouvement citoyen qui prend de l’ampleur questionnant le pouvoir de Danilo Medina et de son parti visant également la gestion antérieure de l´ex-président Leonel Fernandez et de ses collaborateurs. Elle fait référence plus précisément à l’illégalité des contrats de Punto Catalina, du projet de barrage Pinalito, révélant les failles de ce système de gouvernance qui a permis de tels abus.

Malgré les mesures adoptées par le pouvoir dominicain pour freiner le scandale en procédant à l’arrestation de plusieurs hauts fonctionnaires de l’État et des hommes d’affaires, la Marcha verde, continue la mobilisation et exige que la justice fasse la lumière sur le dossier.

Stratégie de diversion de la République dominicaine


Selon plusieurs observateurs des deux États partageant l’île, il y a une remontée de l’anti-haïtianisme, à chaque fois que le , pour protéger ses intérêts, essaie de détourner l’attention de l’opinion publique sur des questions d’intérêt vital. Donc, dans le contexte du scandale Odebrecht, l’antihaïtianisme se révèle une stratégie efficace. C’est une manoeuvre visant à récupérer la grogne populaire en la focalisant sur un danger imaginaire, “l’Haïtien”. Ainsi la traque contre les immigrés haïtiens illégaux et les déportations se mettent-ils en branle. En un premier temps, la Direction générale d’Immigration se prononce puis la presse informe que les militaires dominicains sont à la recherche des délinquants haïtiens qui ne peuvent montrer leurs papiers d’identification. Une fois ciblés, les Haïtiens sans-papiers sont sans délai embarqués de force dans des camions et déportés (rapatriés) aux frontières haïtiano-dominicaines.

Tandis que circulent sur les réseaux sociaux des informations sur des dérives ou mesures punitives, et agressions faites contre les Haïtiens ; le public se retrouve également bombardé de “fakenews” circulant sous forme de vidéos montrant les militaires dominicains à la recherche des Haïtiens aux expressions de terreur, eux qui ne peuvent montrer leurs papiers d’identification. – Images choquantes : exposant des cadavres de personnes torturées et ensanglantées étendus à même le sol.

Selon l’écrivain Marc Bloch : “Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance”. Si cette machination a pu avoir lieu c’est parce que les imaginations étaient déjà préparées à la recevoir. À partir de là, il n’est plus que temps de relever les abus ponctuels que l’anti-haïtianisme peut provoquer en R.D… Du côté des Haïtiens, les coeurs remontent à la bouche. Sousjacent ce vieux sentiment d’impuissance qui sous-tend le désespoir, laisse percer également la colère. Mais encore, le sentiment d’invasion du territoire dominicain par une masse d’Haïtiens profiteurs s´échauffe.

Les sans-papiers haïtiens sont sans délai chargés dans des camions et déportés aux frontières. Leurs activités, le plus souvent informelles, offrent un prétexte permettant de justifier à l’opinion publique dominicaine, ces arrestationsdéportations. (Trafic de cigarettes, d’armes, de drogue, etc.… ) .

Le quotidien El Listin Diario informe que juillet 2017 fut le mois contenant le nombre de déportés le plus élevé de l’année soit un nombre de 13,446 étrangers rapatriés par la DGM. L’accélération de multiples déportations d’illégaux Haïtiens vivant en République Dominicaine ne serait qu’un subterfuge parmi d’autres pour faire diversion dans le contexte du scandale de corruption “ Odebrecht”. À titre d´illustration.

“Dominican Today” rapporte le 3 août que le leader de l’opposition, président du parti APD (Alliance pour la démocratie), Max Puig, dénonce les subterfuges employés par le gouvernement Medina pour détourner l’attention publique (de la corruption) et trouve particulièrement “répréhensible cette incitation à la haine contre les citoyens haïtiens” vivant en R.D.

Max Puig s’en prend violemment au président Medina, il estime que suffisamment de preuves ont été recueillies au cours de ces derniers mois pour que les hauts fonctionnaires du gouvernement soient jugés au même titre que les complices dans les cas de corruption “ Odebrecht”.

“ Les faits existent et ils incriminent les hauts fonctionnaires, en commençant par le président lui-même qui a financé ses campagnes électorales avec des fonds illicites fournis par la société criminelle (Odebrecht) et a permis de mettre en valeur un centre de pot-de-vin, transformant la République dominicaine en un centre de blanchiement d’actifs“, a encore déclaré Max Puig lors de sa visite à Homeland Altar.

Haïti : la Republique d’Haïti se trouve dans une impasse où elle est face à cette nouvelle vague massive de déportation. La nouvelle diplomatie haïtienne qui peine à régler les problèmes salariales avec son personnel est en pleine réforme. Elle fait silence prétendant laisser passer le plus difficile, mais forcément cela ne dure qu’un moment. Car, entretemps, ces fake-news se mélangent aux faits bien réels qu’on peine à identifier. En Haïti et sur le web, le public n’arrive pas à cerner l’étendue de l’action déportation/rapatriement des autorités dominicaines d’où une panique certaine ; d’autant plus qu’aux USA, 50 000 Haïtiens sont en passe de vivre les derniers moments du permis de séjour TPS. La communication de la part du pouvoir haïtien est généralement opaque et imprécise sur le sujet d´immigration. Tant de questions demeurent sans réponse : combien de déportés arrivent à bon port ? Où débarquent-ils ? Où sont-ils logés sur le territoire haïtien ? Qu’allons-nous faire d´eux ? Avec quel argent ?

Sentiment d’abus et d’impuissance

Les Haïtiens de l’intérieur et ceux de la diaspora sont renversés quand l’ambassadeur haïtien à Santo Domingo déclare que le gouvernement haïtien ne s’oppose pas à des mesures de déportation tandis qu’aucun cadre de réception des déportés n’a été mis en place.

Lors même que le ministère dominicain de la Défense et le ministère des Affaires étrangères d’Haïti nient ensemble le fait que les immigrants haïtiens subiraient des violences périodiques en République dominicaine.

La confusion est totale!

Le Réseau Jacques-Viau, le Mouvement des femmes dominicain-haïtien (MUDHA), le GARR, la Fondation Zile qui travaillent en R.D. pour les droits des immigrants haïtiens et pour l’amélioration de la relation haïtianodominicaine sont préoccupés de la violence qui menace d’éclater entre les deux populations.

Edwin Paraison de la Fondation Zile recommande d’organiser d’urgence un “Sommet binational sur les migrations”. Un autre point point de divergence entre les deux pays qui ne peut laisser indifférent concerne l’interdiction d’importation de 23 produits par Haïti occasionnant un énorme marché de contrebande et de “raquettes” aux frontières. En ce monde post-mondialisation tout est relié par internet à vélocité nano seconde, quand une multinationale comme Odebrecht s’organise en mafia, forcément de néfastes conséquences se répercutent ailleurs affectant les populations quelles qu’elles soient. La corruption ayant le Brésil pour point de départ remonte jusqu’à la Republique dominicaine, mais ayant semé son venin continue son chemin de fiel. Elle affecte, comme nous le constatons, les Haïtiens également , en particulier les sans-papiers haïtiens vivant en République voisine et dont la vie de tous les jours n’a rien d’aisé.

Une bonne nouvelle teintée d’incrédulité

Si la R.D a bien voulu étendre le délai de réglementation du Plan de régularisation nationale (PNRE) d’une année pour accorder la possibilité aux illégaux Haïtiens de régler leurs papiers d’identification visant à obtenir un statut légal en R.D ; il s’avère néanmoins difficile de se prononcer quant à la capacité ou la détermination du gouvernement haïtien à fournir des actes de naissance ou tout autre document d’identification aux ressortissants haïtiens. “…

Malgré certaines dérives, les droits humains sont respectés en R.D.”, nous décrivons ici la posture des institutions internationales sur la question. Aussi, aucune surprise quand de son côté, le 21 juillet dernier, l’ambassadeur de l’Union européenne en République dominicaine, le Dominicain Son excellence Alberto Navarro, félicite les autorités dominicaines de leur décision de prorogation du délai accordé en vue de la régularisation des papiers.

Nonobstant, ce geste des autorités dominicaines vivement apprécié de tous les Haïtiens au regard de cette prolongation, il est probable que les conséquences de la corruption Odebrecht perdureront un temps encore sur nos têtes d’Haïtiens – sous forme de menaces et d’incitation à la violence – de certains secteurs de l’extrême- droite dominicaine. Puiser dans les fonds haineux de l’anti-haïtianisme, accuser d’invasion planifiée, c’est définitivement devenu un rituel et ce que certains font mieux quand ils doivent se dédouaner de malversations, Odebrecht ou autre. Force est de constater que face à l’extrême droite se lève un mouvement citoyen engagé et “qui peut”. La flamme verte de la Marcha verde est porteuse d’espérances.

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