jeudi 1 juin 2017

UNE RÉVOLUTION ÉCLATE AU BRÉSIL

DÉCLARATION DE GUERRE CONTRE LA CORRUPTION



Dilma et Lula se donnant un abrazo de solidarité dans le malheur

par Léo Joseph

Des ex-présidents, parlementaires et autres grosses légumes du monde financier épinglés

La guerre est déclarée contre la corruption au Brésil. Dans la mesure où ce phénomène se répand dans la grande majorité des pays de l’hémisphère et s’est institutionnalisé en Haïti et en République dominicaine, son impact ne devrait pas être minimisé. Surtout que le juge qui l’a lancée ne s’y est pas allé de main morte. L’enquête tentaculaire lancée par le juge Sergio Moro, dans la quarantaine, de Curitiba, dans le sud du Brésil, vise deux anciens présidents et un autre en fonction. Elle a pour objectif de déraciner ce crime, allant jusqu’à se colleter à des anciens chefs d’État du continent qui y ont participé à la valse des millions se donnant libre cours dans le plus vaste territoire de l’hémisphère américain, après les États-Unis d’Amérique du Nord.

Une méga-enquête à répercutions transnationales
L’enquête sur la corruption déclenchée par le juge Moro, dont les premières victimes sont la présidente Dilma Rousseff et l’ex-président icône du Brésil Luiz Inacio da Silva, dit Lula, s’étend à d’autres pays d’Amérique latine, donnant une allure globale à cette levée de boucliers contre ce crime transnational. Ce qui se passe actuellement dans ce pays devrait interpeller les authentiques fils d’Haïti qui souhaitent que surgissent des patriotes au sein du système judiciaire haïtien capable de lancer une campagne similaire.

En attendant que d’autres pays emboîtent le pas, dans la lutte contre la corruption, la justice brésilienne livre une guerre sans complaisance contre les élites vénales, menant une attaque de front jusqu’au sommet du pouvoir politique. Impliquant le groupe pétrolier national Pétrobras et le complexe industriel JGS et des entreprises du PTP, l’enquête expose des hommes politiques aussi bien que des magnats de la finance et de l’industrie du Brésil, brasseurs de millions. L’initiative du juge Sergio Moro aguerrit les secteurs anti-corruption du Brésil qui font de ce magistrat un héros, une sorte de Robin des bois contre ce fléau qui ronge la société, entrave les réformes administratives et politiques susceptibles de développer les richesses brésiliennes au profit de toutes les classes sociales.

Les dénonciations de Hermes Magnus font éclater le scandale

Pour que la guerre soit ouverte contre la corruption il a fallu l’intervention d’un patriote brésilien qui estimait devoir agir dans le sens des intérêts du peuple brésilien. Patron d’une entreprise spécialisée dans la manufacture de composantes électroniques pour voitures, basée à Londrina, se trouvant dans la riche région agricole de l’État du Parana, dans le midi du Brésil, Hermes Magnus, ayant eu plus que marre de la décadence des institutions politiques et administratives de son pays, a décidé de délier sa langue, dans le cadre de l’affaire ayant pour nom de code « Lavage Express » (ou encore Lavage à jet). M. Magnus accusait plusieurs politiciens de blanchiment d’argent dans la plainte qu’il avait déposée en 2008. Parmi les personnalités politiques locales signalées par Magnus, se trouvaient le député José Janene et l’entrepreneur Alberto Youssef. Ce denier n’est pas étranger à la justice brésilienne, pour avoir trempé dans une affaire qui s’était développée autour de la banque d’État Banestado. Il avait été également lié à l’affaire Mensalao, système de paye occulte dont bénéficiaient certains députés, en contrepartie de leurs votes. (Ce scandale avait failli coûter sa réélection à Lula, en 2006. Drôle de coïncidence, ce système de paye clandestine aux parlementaires brésiliens rappelle les ristournes versées aux sénateurs et députés par l’administration Moïse-Lafontant)

Hermes Magnus n’allait pas par quatre chemins pour vendre la mèche, révélant avoir vu des valises remplies de billets transiter par son siège, allant jusqu’à dénoncer plusieurs millions de reais, la monnaie brésiliennes. Suite à ces premières révélations, il dut s’enfuir du pays sous les menaces venues des accusés. José Janene décéda en 2010, mais les enquêteurs fédéraux continuaient de tisser leur toile autour d’Alberto Youssef

Ce qu’on appelle communément au Brésil l’affaire Youssef a éclaté en mars 2014, sous forme d’un important coup de filet opéré simultanément dans le sud du pays et à la capitale, Brasilia, avec la participation de 400 agents. Une perquisition orchestrée dans un complexe de station de lavage auto et pompe à essence de la capitale brésilienne a permis de découvrir des transferts douteux portant sur des millions de reais (la monnaie brésilienne). Dès lors, le méga scandale Petrobras (Pétrole du Brésil) n’était plus un secret pour le peuple du Brésil, connu sous le nom de code « Lavage-Express ». Dans le cadre de cette première opération, pas moins de vingt personnes ont été arrêtées, parmi elles Alberto Youssef dont la résidence a révélé le pot aux roses aux enquêteurs fédéraux : une berline de luxe avec des papiers enregistrés à son adresse, mais au nom de Paulo Roberto Costa, un ex-directeur de Petrobras. Ce dernier a été immédiatement mis aux arrêts.

Les éléments initiaux de Lavage Express devait faire sa première victime : Dilia Rousseff, première femme élu présidente du Brésil, en tant que successeur du très populaire syndicaliste Lula, sous la bannière du même parti politique que ce dernier, le Parti des travailleurs (PT). Elle avait pu se faire réélire en dépit des énormes difficultés rencontrées durant sa campagne électorale. Mais les accusations étaient trop graves et multiples pour que Mme Rousseff parvienne à se tirer d’affaires. Aussi sa destitution a-t-elle été prononcée par le Sénat et le vice-président, le septuagénaire Michel Temer, désigné pour la remplacer, selon le vœu de la Constitution brésilienne.

Le présidente Dilia Rousseff avait voulu couvrir d’immunité son prédécesseur Lula, également impliqué dans l’affaire Odebrecht, la géante firme de construction dont les tentacules s’étendent à plusieurs pays de l’hémisphère, mettant en même temps en cause des hommes politiques étrangers, y compris des anciens chefs d’État.

L’actuel président du Brésil piégé à son tour
Après avoir épinglé un ex-président (Lula) et un président en fonction (Dilia Rousseff), l’enquête fédérale a pris pour cible le successeur de Mme Rousseff, Michel Temer. Grâce à l’utilisation du dispositif brésilien de la delação premiada (la collaboration avec la justice contre une remise de peine, le juge Moro a pu recueillir des témoignages accablants contre les hommes politiques les plus puissants du pays. Tous les procureurs fédéraux se sont mis à la tâche, guidés par ce principe.

Sur ces entre-faits, le président Temer tentait de manœuvrer pour éviter la défection de ses alliés dans le crime. Maisson cas devait aussi s’aggraver davantage, suite à l’accusation d’obstruction à la justice portée contre lui dans un document juridique officiel.

Désormais l’action contre le président Temer avance méthodiquement. Dans une demande d’ouverture d’enquête contre le chef de l’État, Rodrigo Janot, procureur général, souligne fortement que M. Temer, de concert avec des hommes politiques influents, a tenté d’«empêcher l’avancée» de l’opération « Lavage Express ». Cette requête faite à la Cour suprême se base sur un accord conclu avec la justice de Joesley Batista, magnat de l’agroalimentaire multimillionnaire du Brésil, dont les révélations aux procureurs fédéraux sont en train de provoquer un véritable séisme politique.

Les autorités fédérales, dans le cadre de l’enquête ouverte sur le président Temer, ont rendu public l’enregistrement que Batista, propriétaire de JBS, un géant de la viande, avait faite secrètement de sa conversation

Le président a été enregistré à son insu par cet homme d’affaires, propriétaire du géant de la viande JBS et de la marque de tongs bien connus Havaianas, au moment où il donnait son accord pour le versement de pots-de-vin. Ces révélations ont été faites par le quotidien brésilien O Globo, qui précisait : les pots-de-vin en question avaient pour motif d’acheter le silence d’Eduardo Cunha. Ancien président de la Chambre des députés, M. Cunha se trouve présentement en prison pour son implication dans le scandale Petrobras.

En attendant que la justice continue son cours, le président Temer, après avoir pris connaissance de la teneur de l’enregistrement incriminant, a déclaré : « La montagne a accouché d’une souris, je vais sortir de cette crise plus vite qu’on ne le pense ». Selon lui, le contenu de la bande sonore, d’ailleurs de mauvaise qualité, n’établit pas, de manière irréfutable, qu’il a cautionné le versement de pot-de-vin.

Mais l’opposition n’a perdu une seule minute à se mettre en branle. Pour elle, Michel Temer doit partir. Faute par lui de le faire volontairement, il faudra lui montrer la porte de force.

Entre temps toute une série de motions de destitution ont été déposées par des parlementaires, notamment ceux opposés au chef de l’État. Mais, comme cela a été le cas pour Dilma Rousseff, la procédure est longue et alambiquée, en sus du fait que la majorité des tiers est nécessaire, à la Chambre basse comme au Sénat, pour valider la destitution du président de la République.

Révélations explosives de Joesley Batista
Épinglé dans l’affaire Odebrecht, Joesley Batista, quadragénaire fringuant, marié à une présentatrice de télévision, a fait des révélations explosives aux procureurs. Il est devenu une pièce maîtresse dans l’enquête Lavage Express, le tombeur potentiel de grosses légumes de l’administration publique. Mais les procureurs soupçonnent qu’il avait pu obtenir des prêts illégaux de la banque d’État, afin de développer davantage ses entreprises déjà en expansion. Grâce à lui, l’enquête Lavage Express avance inexorablement.

En effet, au départ il est soupçonné parles procureurs d’obtenir des prêts frauduleux de la BNDES, la banque publique d’investissement, afin de faire fructifier les affaires de son entreprise. Batista n’a pas raté l’occasion de tirer des dividendes de ses aveux, et qui ont permis aux responsables judiciaires de découvrir un vaste réseau de corruption relié aux marchés publics du géant pétrolier d’État Petrobras. Aussi a-t-il conclu un protocole avec la justice, dans le but bien précis de réduire sa sentence. Un journaliste brésilien explique ainsi le rôle qu’il s’est attribué dans cette enquête : il s’est transformé en « gorge profonde à la sauce brésilienne ». D’ailleurs, il ne s’en cache pas. Il a lâché sans aucune retenue : « Tout le monde va finir derrière les verrous ».

Les révélations de Joesley Batista ont mis en cause d’autres hommes politiques influents du Brésil. Après l’onde de choc occasionnée par les aveux d’anciens hauts fonctionnaires d’Odebrecht, géante firme de construction brésilienne, ayant déclenché des enquêtes contre des parlements et des ministre de l’administration Temer, « il y aura des pleurs et des grincements de dents », tant au Brésil que dans d’autres capitales latino-américaines, voire même caribéennes. Batista s’y adonne avec beaucoup de zèle. Il semble prendre un malin plaisir à devenir informateur par excellence de la justice brésilienne. Aussi a-t-il déclaré : « Nous sommes à la disposition de la justice pour révéler avec clarté la corruption des structures de l’État brésilien ». Il a enchaîné avec cette phrase : « Nous avons commis des erreurs et nous présentons nos excuses ».

Dans ses confessions, Joesley Batista a déclaré avoir donné des pots-de-vin à au moins 1 829 politiciens pour un total de USD 500 millions, précisant qu’il avait déposé USD 80 millions à un compte en banque de Lula; et USD 60 millions à celui de Rousseff. Il s’agissait, dit-il, de fonds destinés au financement de leur campagne présidentielle.

Signalons que parmi les premières victimes de l’enquête Lavage Express, il faut signaler Alejandro Martinelli, ex-président du Panama ; ainsi que Alberto Toledo, ancien chef d’État du Pérou. La justice péruvienne a fait une demande d’extradition de Toledo auprès du département de la Justice des États-Unis où il se trouvait, ces derniers jours. La justice panaméenne aurait décidé d’aller vite avec le dossier Toledo en ce qui a trait à l’extradition de ce dernier, car craignant qu’il n’atteigne Israël où une telle procédure pourrait traîner en longueur. Puisque, apprend-on de sources autorisées, la femme de Toledo détient la nationalité israélienne. Si l’ex-président du Panama réussit à s’y réfugier, il sera peut-être plus difficile, sinon impossible, de l’atteindre, car le Panama n’a pas d’accord avec l’État juif en matière d’extradition.

Pour mieux saisir la portée de l’initiative du juge Moro, devenu l’idole des Brésiliens ayant marre de cette pratique, il est nécessaire de situer le Brésil dans son contexte géopolitique, économique, démographique et géographique.

En effet, la République fédérale du Brésil (unique héritage colonial portugais dans la région, possède le portugais comme langue officielle) est le plus grand État de l’Amérique latine. Avec une population de 206 millions d’âmes, ce pays possède une étendue de 8 millions 514 mille 875 kilomètres carrés. Autrement dit, son territoire couvre la moitié de l’Amérique du Sud (47,3 %). Ses frontières touchent presque tous les pays de l’hémisphère : Uruguay, Argentine, Paraguay, Bolivie, Pérou, Colombie, Venezuela, Guyane française et Surinam. Cinquième pays du monde en fait d’étendue, sa superficie est dépassée successivement par les États-Unis d’Amérique, la Chine, le Canada et la Russie.

Sur le plan économique, il figure parmi la grande économie du monde. En 2014 son Produit interne brut (BIP) s’élève à USD 2 347 milliards $ le consacrant comme septième puissance économique de la planète avant l’Italie. En tant que puissance émergente, le Brésil est membre de l’Organisation des nations unies (ONU), du Mercosul, du G20 et des BRICS.

Du point de vue militaire, l’Armée brésilienne figure parmi les vingt premières puissances militaires du monde et la plus importante de l’hémisphère derrière celle des États-Unis. Il considéré, avec la Chine, l’Inde, et la Russie, comme pays ayant le potentiel de devenir un jour une superpuissance mondiale. Nonobstant la taille de son économie, le Brésil se classe parmi les pays où les inégalités sociales et économiques sont les plus élevées globalement.

De par ses ressources naturelles, le Brésil possède des richesses extraordinaires, trônant sur le plus important gisement de pétrole du monde. Il a été désigné nouvelle puissance énergétique, des puits immenses de pétrole pré-salifère ayant été découverts dans les bassins de Santos et de Campos, au large de l’ancienne capitale fédérale de Rio de Janeiro. Mieux encore, les réserves récupérables n’ont cessé d’être réévaluées à la hausse. Par exemple, en 2013, les statistiques officielles ont évalué les gisements pétroliers brésiliens à 106 milliards de barils. Les découvertes de réserves d’aucun pays ne peuvent se comparer à celles du Brésil.

Le plus grand État d’Amérique du Sud se caractérise par une unique diversité ethnique et culturelle. Selon l’IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistiques), la société de ce pays est ainsi composée : 47,7 % de Blancs, 43,1 % de Métis, 7,6 % de Noirs (originaires d’Afrique subsaharienne, principalement d’Angola) et 2 % d’Asiatiques et d’Amérindiens. La nation brésilienne a une composante européenne, surtout portugaise, puis italienne, allemande et espagnole.

Répercussion de Lavage Express dans l’île d’Haïti

Odebrecht, multinationale ayant pignon sur rue dans plus de cinquante pays, y compris les États-Unis, subit en plein l’effet de la corruption dont le Brésil s’est révélé l’épicentre et elle son moteur. L’impact de la méga enquête Lavage Express se fait sentir tout naturellement aussi dans l’île d’Haïti.

En effet, suite aux manifestations de rue demandant aux autorités dominicaine de procéder à l’arrestation de hauts fonctionnaires accusés de corruption, le procureur fédéral de la République dominicaine a ordonné l’arrestation de quelque 14 personnes, dont dix ont été déjà déposées en prison, parmi elles des anciens parlementaires et des ministres et ex-ministres. Elles sont poursuivies pour leur implication présumée dans le méga scandale, qui fait rage au Brésil, concernant la firme brésilienne Odebrecht. Celle-ci aurait versé la somme d’USD 92 millions $ aux accusés en contrepartie de juteux contrats de construction en République dominicaine.

On laisse croire, dans certains milieux diplomatiques, à Santo Domingo, qu’Haïti ne serait pas étranger à l’affaire Odebrecht. On prétend aussi que, prochainement, les effets du séisme Lavage Express seront ressentis à Port-au-Prince.

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