jeudi 17 novembre 2016

« La dernière chance »

Me Serge H. Moïse
           Dans ce singulier petit pays où plus ça change plus c'est pareil il est impossible d'éviter les redites, même quand elles deviennent fades et rebutantes.

           En effet, depuis l'ignoble assassinat de l'Empereur, lequel a eu la mauvaise fortune d'exiger que ceux dont les pères sont en Afrique aient les mêmes droits que les autres, la révolution inachevée bat de l'aile et la perle des antilles symbolise aujourd'hui, le pays le plus corrompu et le plus pauvre de l'hémisphère.


          Les analystes de la scène politique haïtienne sont unanimes à reconnaître que le pays a raté tous les virages qui lui auraient permis de se développer et de s'épanouir au même niveau que son voisin de l'est et d'autres petites nations plus ou moins comparables.       
  
Plus de deux siècles d'histoire de peuple dit indépendant et nous pouvons hélas nous demander bien candidement : Sommes-nous vraimement une nation?

          Nous avons évidemment un territoire, une population, une langue commune, un drapeau, un gouvernement et apparemment tout ce qui correspond à la définition acceptée de ce que représente une nation. Pourtant, force est de reconnaître que mises à part quelques rares éclaircies, notre trajectoire en tant que collectivité, constitue un retentissant échec qui explique le bourbier dans lequel nous vautrons avec une apparente indifference.

         La méconnaissance de notre histoire, les lacunes de l'enseignement ou éducation au pays et ce déficit identitaire qui nous caractérisent en sont sans doute les causes profondes mais pis encore le refus d'en prendre conscience individuellement et collectivement n'augure rien de bon dans un avenir prévisible.

          Nous avons été éduqués, pardon, dressés pour être tout sauf des Haïtiens à part entière. Il demeure donc compréhensible que certains de nos congénères se révèlent, sur le plan personnel des réussites dont nous sommes d'ailleurs très fiers. Ils ont été formés pour performer dans leurs encadrements respectifs mais quid de l'alma mater?


           S'il est vrai, selon René Dumont, que le développement durable d'une société passe par ses créneaux culturels, il s'avère peu probable que les modèles importés puissent nous conduire à bon port. Hélas, tout porte à croire que nos experts ne jurent que par les théories et/ou principes à partir desquels ils ont été formés et demeurent incapables d'appréhender le réel haïtien afin de concevoir des modèles qui soient en adéquation avec cette réalité dans ce qu'elle recèle de spécificités propres.


           La loi se définit comme étant l'émanation de la violonté populaire et c'est l'essence même de la démocratie. Jetons un bref coup d'oeil sur nos (22) vingt deux constitutions et l'ensemble des lois qui nous régissent. La malice populaire exprime en termes clairs notre culture de non droit et à travers son humour plutôt caustique proclame : « Konstitution se papie, baïonnette se fè ».

           Au cours des événements en perspective, souhaitons que nos futurs dirigeants réalisent l'impérieuse nécessité de doter le pays de la Commission Nationale de la Réforme Judiciaire « CNRJ » si tant est qu'ils veulenet vraiment comme le réclame le peuple depuis la chute de la dictature, l'avènement d'un véritable État de droit dans ce tout petit pays qui est le nôtre.

           Les saupoudrages auxquels nous avons eu droit depuis l'importation du code Napoléon, ont eu pour conséquence, ce que tout le constate d'ailleurs, n'en déplaise à ceux qui veulent jouer à l'autruche : Le pouvoir judiciaire est vassalisé maintenant plus que jamais auparavant!

           Ce n'est certes pas une création de ce gouvernement, nous en convenons aisément. Cela fait partie de ce triste héritage qu'il avait d'ailleurs promis d'oblitérer. Héals, les faits parlent par eux-mêmes, la montagne a accouché d'une souris.

          Faut-il encore une fois, souligner et à l'eau forte qu'aucun progrès n'est réalisable en dehors d'un système judiciaire efficace et efficient? La réponse est tellement évidente qu'on serait tenté de croire qu'il s'agit là d'un laisser aller voulu et entretenu par nos élites dirigeantes ce qui en font nos fameuses « MRE ».


           Il n'appartient qu'à nous d'arrêter de bluffer en reconnaissant tout simplement que la création d'emplois et la réforme judiciaire demeurent les pierres d'achoppement de toute éventuelle refondation de la république. Aussi, compter uniquement sur l'investissement étranger pour relancer l'économie du pays s'avère un leurre grossier et malhonnête. En un mot comme en cent, la déportation massive de nos compatriotes en constitue une preuve irrefragable.


           Le médecin s'attaque aux causes de la maladie pour soigner son patient, l'avocat se rend au tribunal, son dossier bien étoffé pour gagner la cause de son client, l'investisseur se lance en affaires pour gagner des profits substanciels et non pour faire du social encore moins la charité. Nos économistes ne le savent que trop et qui pis est, l'économie néolibérale qui domine le monde ne peut que maintenir les pays comme le nôtre dans leur état de corruption et d'extrême pauvreté. Il faut donc pour mettre un terme à l'assistanat qui n'est autre que l'industrie de la misère, faire le choix judicieux de l'économie sociale, à l'instar de l'Inde, de la Chine et de Cuba pour ne citer que ceux-là.

           En effet, la création d'emplois, en encourageant de manière scientifique l'entreprenariat au niveau des petites et moyennes entreprises, lesquelles sont d'ailleurs les piliers de toutes les économies florissantes. Et, pour ce faire le « FHS » Fonds Haïtien de Solidarité, réunit tous les critères du développement endogène susceptible de contribuer à la reconstruction et à la refondation du pays. Nous devons donc jumeler création d'emplois et formation afin de ne plus exporter nos diplômés, lesquels, faute d'emploi, ne peuvent revenir au pays.

           Á cette croisée des chemins le constat est fait, nous sommes un État failli. S'il est vrai que nous comptons encore parmi nous des femmes et des hommes intègres et compétents, nous devrions à la faveurs de ce qui est en perspective, nous prouver à nous-mêmes et au reste du monde qui nous guette que nous avons la capacité de nous reprendre en main, de bien nous gouverner et ainsi faire mentir les propos de Gobineau une fois pour toutes.

           Le temps presse évidemment, les éternels chômeurs et ceux qui croupissent sous les tentes le savent mieux que quiconque. Un ultime effort de transcendance s'impose pour un dialogue inclusif, franc et constructif, cette fois-ci dans l'intérêt supérieur de la nation tout entière, demeure le paradigme impérieux et incontournable.

           Il subsiste malheureusement une zone d'ombre au tableau. En effet, un large secteur de la scène politique estime que les toutes les conditions objectives ne sont pas réunies pour faire œuvre qui vaille et décide de garder ses distances. La confiance, élément indispensable au dialogue et à la concertation n'est pas au rendez-vous! Quant à la diaspora, elle brille, contre son gré, de tous ses feux par son absence!

           C'est le moment, plus que jamais, pour que « l'Union Fait la Force » devienne une profession de foi. Que la volonté de Dieu le « Granmèt » se manifeste sur la terre d'Haïti en inspirant nos compatriotes au cours des prochaines joutes qui pourraient fort bien se révéler celles de la dernière chance.



Me Serge H. Moïse av.

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